Il existe un lien intrinsèque entre les droits de l’homme et le développement. Le développement, dans de nombreux cas, implique un processus de sécurisation de l’accès aux droits, et leur mise en application, alors que l’existence de droits, elle, tend à améliorer les processus de développement.
Les droits de l’homme et les libertés sont inscrits dans la Constitution marocaine comme des « constantes immuables » (article 175). Depuis la ratification de la Constitution en 2011, ces droits sont chaque jour un peu plus respectés. Bien qu’il existe aujourd’hui une loi spécifique qui garantit l’égalité des droits entre les hommes et les femmes, Moudawanat Al-Osra (la Moudawana), de nombreuses femmes vivant dans le monde rural n’en tirent pas encore de bénéfices, en particulier dans les zones les plus reculées. Nous nous demandons souvent pourquoi les décisions gouvernementales, les lois et les programmes qui visent à promouvoir le développement ont du mal à trouver un écho dans ces régions éloignées. Cela est-il la cause du retard dans le développement des collectivités rurales ? L’application de ces lois stimulera-t-elle le développement ? Et si oui, comment ?
Mus par ces interrogations, le personnel et moi-même – je suis étudiante à l’Université hébraïque de Jérusalem et actuellement en stage auprès de la Fondation du Haut Atlas – avons mené une recherche-action participative comprenant des groupes de discussion avec plus de 200 femmes rurales de la province d’Al Haouz. Les principaux résultats de notre recherche présentés ici pourront nous aider à mieux cerner les besoins des femmes rurales, afin qu’elles puissent saisir chaque opportunité de jouir pleinement de leurs droits.
Moudawanat Al Osra (2004) est la loi marocaine sur le statut personnel ; elle est basée sur la Sharia islamique et le rite malékite. Ce texte a remplacé la Moudawana de 1956 qui, en fait, ne suggérait pas l’égalité des droits entre les sexes. Moudawanat Al Osra se compose de 400 articles de loi, qui visent à protéger les droits des femmes et de leurs enfants.
Depuis que la nouvelle loi a été adoptée, sa mise en œuvre dans les zones rurales se heurte à divers obstacles tant en matière de sensibilisation que dans son application. Le projet de recherche a analysé ces barrières, ainsi que les différents besoins soulevés par les femmes dans cette région montagneuse du Haut Atlas.
Principaux résultats
Plus de 94% des femmes qui ont participé à la recherche ont indiqué qu’elles n’avaient jamais entendu parler de la Moudawana auparavant, ce qui souligne le grand manque de sensibilisation à la loi dans ces régions. La plupart des communautés ont déclaré que l’âge légal du mariage était supérieur à 18 ans, mais que, dans les faits, la plupart des filles se marient encore entre 14 et 16 ans. La plupart des communautés ont indiqué qu’elles se sentaient « laissées pour compte » ; que les changements qui intervenaient à l’échelon national atteignaient à peine ces régions reculées, et que même si elles étaient conscientes de leurs droits, elles savaient qu’elles ne pourraient pas en jouir. En menant cette recherche d’évaluation, nous avons tenté de comprendre les raisons spécifiques qui les ont poussés à agir de la sorte.
Deux groupes de contrôle ont été inclus dans la recherche ; le premier était composé d’universitaires de la ville de Marrakech, le second, de membres de coopératives rurales avec lesquelles la HAF travaille en partenariat pour faire avancer des projets de développement. Les membres des coopératives ont indiqué qu’ils (elles) étaient plus indépendant(e)s socialement et financièrement, dans différents domaines de leur vie. Fait intéressant, les étudiants ont évoqué la question de l’utilisation de la Moudawana et de la promotion de l’égalité des droits des femmes (et des hommes) en tant que problème national, une démarche dont ils partagent la responsabilité. Ainsi, les étudiants semblaient avoir à cœur d’en apprendre davantage et de transmettre leurs connaissances dans le but d’aider d’autres femmes. La plupart des femmes des zones rurales ont évoqué la Moudawana comme étant un problème d’ordre personnel, ce qu’elles souhaitent voir évoluer. Cependant, elles ont également exprimé leur volonté de transmettre aux autres les connaissances qu’elles ont acquises.
Les femmes rurales de la province d’Al Haouz ont exprimé des besoins différents au cours des discussions. Nous pouvons subdiviser ces besoins en trois catégories principales : éducation, société et accès:
(1). Éducation : les taux élevés d’analphabétisme parmi les femmes vivant en milieu rural demeurent l’un des problèmes fondamentaux, les empêchant de connaître ou d’exercer leurs droits. Les femmes indiquent que cela est principalement dû à l’inégalité dans l’accès à l’éducation.
(2). Société : elles ont évoqué le ‘conflit’ entre la Loi nationale et les traditions locales qui prévalent sur la première dans la plupart des cas. Ce conflit a été soulevé comme l’un des plus grands obstacles à la mise en œuvre de la Moudawana dans ces zones. Le manque d’indépendance : il est considéré comme inapproprié pour les femmes de quitter le village (peu importe comment) sans leurs maris. En outre, la violence et le viol ont été soulevés comme des obstacles qui empêchent particulièrement les jeunes filles de faire valoir leurs droits.
(3). Accès : le manque d’accès physique à l’information, le manque de routes et de moyens de transport adéquats rendent difficiles l’accès des femmes aux différents services publics et la comparution devant un juge (tel que cela est exigé par de nombreuses législations). De plus, les femmes manquent de liberté financière, ce qui les empêche également d’exercer leurs droits.
Toutes ces indications nous ont permis de mieux appréhender les besoins de ces femmes ainsi que la meilleure démarche à suivre en vue de travailler sur la mise en pratique de la Moudawana dans ces zones retirées.
Conclusion et recommandations
La plupart des femmes ont indiqué que c’était la première fois qu’elles ont eu l’occasion de discuter de leurs droits, leurs inquiétudes et de leurs objectifs personnels, ce qui était pour elles positif et encourageant. Autre fruit de nos ateliers participatifs, un groupe a commencé à suivre des cours d’alphabétisation, dans le but d’être capable de comprendre leurs droits. Une jeune fille de 16 ans, membre de leur communauté, s’est portée volontaire pour leur enseigner.
Un autre groupe de femmes a demandé de l’aide dans les démarches administratives pour la création de leur propre coopérative afin qu’elles puissent tendre vers l’indépendance financière. Nous prenons également acte du fait que, dans certains cas, l’effet de ce type d’intervention pourrait avoir une influence indirecte sur les participants, même si nous n’en verrions les fruits que plus tard.
Pour l’instant, nos principales recommandations sont les suivantes :
(1). Nécessité d’évaluer de manière inclusive les besoins et les connaissances de chaque communauté avec laquelle nous travaillons, afin de rendre la communauté plus impliquée et de soutenir la durabilité du projet.
(2). Impliquer les autorités locales. Nous avons travaillé uniquement avec des communautés dont la HAF a gagné la confiance des dirigeants. Nous estimons qu’il est très important d’avoir le même processus de promotion de la sensibilisation de la Moudawana parmi ces dirigeants, tout en encourageant ces derniers à discuter de l’appui potentiel que cette Loi peut apporter au développement – par exemple, en ne devenant pas moins qu’une source de rentrées financières !
(3). Encourager le leadership local à promouvoir le développement durable, par la création de liens entre les femmes rurales et urbaines.
Sur la base de toutes ces recommandations, nous avons conçu un programme qui vise à réunir des étudiants universitaires et des femmes rurales, afin d’échanger et d’en apprendre davantage sur la Moudawana, et aussi de concevoir des implémentations locales de cette Loi, en fonction des besoins des villages respectifs.
Dans la plupart de ces régions, les hommes étaient traditionnellement les seuls à être impliqués dans les processus d’identification des besoins et de prise de décision. En ciblant les femmes séparément, cela nous a permis d’aborder sous un angle différent les besoins de la communauté, et d’évoquer différentes manières de les combler. De plus, nous espérons que la Moudawana, en ce qu’elle s’inspire de la Sharia islamique, sera synonyme de levier d’émancipation des droits des femmes et de leur rôle dans la société, en particulier parmi les autres pays musulmans. À travers cela, nous aspirons à soutenir les changements sociaux individuels et collectifs, tant à l’échelle locale que globale.
Gal Kramarski est étudiante en Master des Arts au Programme de développement international « Glocal », à l’Université hébraïque de Jérusalem. Elle a été stagiaire à la Fondation du Haut Atlas au Maroc entre août 2017 et janvier 2018.
Membres de la Coopérative d’Aboghlou (Septembre 2017); photo prise par Gal Kramarski
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